Ordalium chapitre 2
Si j'avance sans hésitation, même si mon cœur se brise
Je désire un sortilège pour contrer la tristesse qui se dresse toujours devant moi
Magia - Kalafina
Je désire un sortilège pour contrer la tristesse qui se dresse toujours devant moi
Magia - Kalafina
Assise sur un tabouret devant sa coiffeuse,
Olivia cessa de démêler ses cheveux lorsqu'elle entendit quelqu'un frapper à la
porte de sa chambre.
« Qui est-ce ? », lança-t-elle.
Le vieux bois de la porte craqua lorsqu'elle s'ouvrit, puis la voix mystérieuse de Marius ordonna tranquillement :
« Ferme les yeux. »
Elle s'exécuta sans poser de questions. Ses oreilles perçurent le bruit des pas du jeune homme qui se rapprochait, puis elle sentit ses mains tirer sa chevelure en arrière afin de dégager sa nuque. Un léger frisson la parcourut lorsque quelque chose de froid se posa autour de son cou.
« J'ai fait faire cette parure rien que pour toi », souffla-t-il tendrement.
Olivia rouvrit les yeux et resta muette en voyant son reflet dans le miroir lui renvoyer l'image d'un somptueux collier aux douces lueurs corail, constitué d'innombrables petites perles brillantes, chacune portant en son centre un minuscule fragment de pierre rubis. La jeune fille se retourna pour faire face à Marius, le visage débordant de gratitude.
« Je... je ne sais pas comment te remercier, lâcha-t-elle en portant ses mains au bijou comme pour s'assurer qu'il était bien réel. Tous ces cadeaux dont tu me combles toujours... Que puis-je faire pour te prouver à quel point je te suis reconnaissante ? »
Il posa un doigt sur ses lèvres.
« Tu es ce que j'ai de plus important, dit-il d'une voix douce. Ton sourire est le plus beau présent que tu peux m'offrir en retour. Je t'avais promis 'ce jour-là' que je ferai tout pour te rendre heureuse. »
Olivia effleura du bout des doigts sa joue, un regard tendre posé sur lui.
« Marius... tu sais très bien que je n'ai besoin que d'une seule chose pour être heureuse. »
Elle posa la tête contre son buste svelte, l'entoura de ses bras. Le chef des brigands répondit à son étreinte, caressant délicatement ses soyeuses mèches blondes qui jaillissaient dans son dos.
Oui, elle lui avait souri un jour, et elle le lui avait dit : « Je suis heureuse, Marius. Je n'ai besoin que de toi pour être heureuse. » Il la serra encore plus fort contre lui. Il voulait réentendre cette phrase de sa bouche, parce que malgré tout, il avait l'impression qu'elle lui échappait depuis quelques temps. Comme si elle avait compris ce qui le tourmentait, elle répéta, le visage enfoui dans son cou :
« Je n'ai besoin que d'une chose pour être heureuse.... »
Sa voix n'était plus qu'un langoureux murmure.
« Je n'ai besoin que de voir le couple royal nous rendre le trône après avoir péri sous ta lame... »
A cet instant, des bruits se firent entendre dans la cour.
« Ah ! Quel butin ! Mettez les chevaux à cuire, Marius a dit qu'y aura un bon festin ce soir ! »
Olivia se détacha de l'emprise du jeune homme et bondit hors de la chambre en s'exclamant, joyeuse comme une enfant :
« Un festin ? Quelle bonne idée, je meurs de faim ! »
Par la fenêtre, Marius observait d'un œil distrait ses compagnons fêter dans la cour, éclairés par un grand feu de bois devant lequel l'un des brigands faisait rôtir des morceaux de viande. Les autres, attendant le repas, s'amusaient à courir dans tous les sens afin de s'attraper. Assise sur un tronc d'arbre et revêtue d'une robe au décolleté généreux de sorte à ce que chacun puisse voir son nouveau collier, Olivia encourageait la bande en frappant dans les mains, un large sourire aux lèvres.
Pendant un long moment, le maître des lieux scruta attentivement le visage de la jeune blonde, cherchant à y déceler un signe, quelque chose qui trahirait sa tristesse sous son apparent masque de béatitude... Mais il ne vit rien de cela. Tout ce qu'il pouvait voir n'était que deux yeux pétillants de vie, des joues rosies par l'excitation et un sourire à en réchauffer le cœur.
Ses dernières paroles lui revinrent en mémoire. Elle voulait qu'il élimine le couple royal afin de lui rapporter la couronne. Avec un grognement, il s'accouda sur le rebord de la fenêtre et se prit la tête entre les mains. Pour elle, cela ne faisait que partie du « jeu ». Il savait très bien qu'elle n'y songeait pas sérieusement. Ce n'était qu'un nouveau défi qu'elle lui imposait afin de s'assurer qu'il lui était toujours entièrement dévoué, et derrière ce désir irrationnel se cachait un nouvel appel de détresse silencieux. Lui demander l'impossible avait toujours été sa façon de lui faire comprendre : « Je me sens mal, et j'ai peur de me retrouver à nouveau seule. J'ai besoin de sentir que tu m'aimes et que tu ne me quitteras pas. »
Depuis leur rencontre, il avait tout fait pour la guérir de ses blessures, il s'efforçait de réaliser tous ses souhaits et veillait à ce qu'elle ne manque de rien. Et pourtant, elle refusait toujours de s'ouvrir à lui.
Les doigts de Marius se refermèrent autour du verre posé sur la petite table de bois rapiécé à côté de lui, avant qu'il ne se rende compte qu'il était vide. Le repoussant avec un soupir dédaigneux, il s'empara de la bouteille de vin qui se trouvait là et porta le goulot à ses lèvres. Son regard vide jusqu'alors fixé sur le firmament dénué d'étoiles se voila, et il laissa le liquide aigre couler dans sa bouche, dévaler sa trachée, provoquant une sensation de brûlure au fond de lui.
Soudain, le flot d'alcool s'arrêta, et la bouteille disparut de sa main.
« Assez, Marius. Je sais que le butin de ce soir était excellent, mais c'est inutile de fêter ça avec autant de vin. »
Il se retourna. Le brigand blond qui avait dirigé la plus grande partie de l'embuscade plus tôt dans la soirée était entré sans faire de bruit et déposa le récipient d'alcool ainsi qu'une bougie sur la petite table avant de le dévisager, les sourcils froncés.
« Tu ne participes pas au festin, Lucien ?, lâcha celui-là, sentant venir une remarque indésirable.
-Et vous, mon seigneur ?, répliqua l'autre avec une légère intonation ironique. A ce qu'il me semble, ce n'est pas moi qui me suis cloîtré dans ma chambre, sans lumière, avec une bouteille pour seule compagnie. »
Le brun le gratifia d'un regard noir. Lucien haussa les épaules en signe d'excuse.
« Allez, viens, tout le monde s'amuse. Reste pas tout seul ici.
-Je n'ai pas envie de me joindre à eux, répliqua-t-il. Tout s'est bien déroulé comme d'habitude, après mon départ ? »
Son ami soupira et se gratta le menton en réfléchissant.
« Alors... le marchand et ses compagnons ont été tués puis on les a tous brûlés, avec le carrosse aussi. Les chevaux, ils sont en train de rôtir en bas. Si tu veux, je vais t'en chercher un morceau, il faut bien que notre meneur soit fort et bien portant pour éliminer les méchants qui osent se balader sur notre territoire... »
Un sourire furtif passa sur les lèvres de Marius tandis que Lucien continuait :
« Ils avaient de l'argent sur eux, des bijoux et des robes. Demain, on ira en ville pour voir le prix qu'on peut tirer de tout ça. Si tout va bien, j'estime qu'on peut tenir quatorze jours avec cet argent. »
Il s'interrompit et se racla la gorge.
« Mais comme tu prévois sûrement une grosse dépense pour offrir un nouveau cadeau à ta princesse, on va dire qu'on aura assez pour se nourrir pendant cinq jours. »
Marius baissa les yeux, silencieux. Le blond s'approcha plus près de lui, inquiet de le voir dans cet état.
« Eh..., fit-il doucement. Y a quelque chose qui va pas? »
L'autre se ressaisit et fit quelques pas en avant.
« Je suis un peu fatigué, répondit-il sur un air qui se voulait détaché. Tu as raison, je devrais peut-être manger quelque chose. Allez, rejoignons les autres. »
Un peu plus brusquement qu'il ne l'aurait voulu, Lucien l'agrippa par les épaules, de sorte à l'immobiliser contre le mur.
« Marius, dit-il fermement. Je suis ton meilleur ami depuis toujours, et je te connais mieux que quiconque, alors fais pas comme si tout allait bien. C'est encore Olivia qui a fait quelque chose ? »
Une expression indéchiffrable sur le visage, Marius le considéra un long moment avant de lui avouer calmement :
« Olivia m'a demandé de tuer le roi et la reine et de lui apporter la couronne. »
Son compagnon lâcha ses épaules en écarquillant les yeux, n'en croyant pas ses oreilles.
« Mais... c'est insensé ! Et... tu as accepté ? »
Marius jeta un regard vers la fenêtre, pris d'une soudaine lassitude. Il était las des caprices d'Olivia, las de tuer, las d'exister.
« Je ne sais plus quoi faire, murmura-t-il. Bien évidemment, je n'éliminerai pas les souverains,mais je ne vois pas comment refuser un souhait à Olivia... »
Lucien compta jusqu'à trois afin de ne pas perdre le contrôle. Il avait envie d'ouvrir les yeux une bonne fois pour toutes à son abruti d'ami, de lui donner un bon coup de poing en lui hurlant que cette fichue garce à qui il passait tous ses caprices se moquait éperdument de lui, qu'elle ne faisait que l'utiliser pour sa propre satisfaction et que ça l'amusait de le voir abattu de la sorte, merde alors ! Mais il ne pouvait pas, il était encore trop tôt. Il prit une profonde inspiration avant de se lancer.
« A ce propos... J'ai aussi remarqué qu'Olivia voyait Mélusine en tant que rivale, en quelque sorte... Alors, j'ai pensé que peut-être, si elles se rencontraient pour de bon, Olivia se rendrait compte que la reine est pas aussi spéciale qu'elle le croit et qu'elle a rien à lui envier. Ça la calmerait peut-être, et elle constatera que ça sert à rien de l'éliminer... non ? »
Il passa nerveusement sa main à travers ses cheveux blonds en bataille. Tout d'abord dubitatif, Marius finit par éclater de rire :
« Lucien, franchement... Est-ce que tu me vois me présenter au palais et aller dire à la reine : 'Bonjour, je suis un brigand, et je vous invite à venir siroter un thé en compagnie de ma fiancée qui a des envies de meurtre envers vous' ?
-J'ai jamais dit ça !, se défendit l'autre en faisant la moue. Il y a un autre moyen de faire venir Mélusine ici. »
Le brun croisa les bras sur son torse, attendant qu'il s'explique.
« J'ai réussi à m'infiltrer dans le palais, avoua Lucien tandis que l'autre haussait les sourcils en signe d'étonnement. Je suis entré avec des fermiers qui livraient leur blé, donc on m'a suspecté de rien. Et j'ai surpris une conversation... Mélusine a décidé d'entreprendre un voyage pour aller rendre visite à des proches. »
Sa voix se fit plus forte.
« Ce voyage, elle va le faire dans trois jours, et j'ai compris qu'elle devait emprunter la route le long du fleuve, dans la forêt... Tu te rends compte de ce que ça signifie, pour nous ? »
Devant l'enthousiasme du jeune homme, Marius secoua vivement la tête.
« Non, Lucien, c'est hors de question ! Est-ce que tu imagines les risques que cela peut entraîner pour nous ? C'est de la reine que tu parles ! Crois-tu vraiment qu'elle quittera le palais avec une misérable petite escorte incapable de la protéger ? Les cavaliers qui l'accompagnent sont des combattants d'élite qui nous tueraient avant que nous ne nous en rendions compte !
-Mais enfin ! Si ça réussit, pense à tout l'argent de rançon qu'on peut y gagner ! »
Marius s'était mis à faire les cent pas à travers la pièce, agité, Lucien sur ses talons.
« On peut y arriver !, tenta-t-il de le persuader. On se divisera en deux groupes, l'un attirera les gardes dans une embuscade et l'autre s'occupera de ceux qui resteront près du carrosse tandis que toi, tu enlèveras Mélusine ! Et on aura l'avantage de les surprendre !
-Je t'en prie, nous n'avons aucune chance ! Et je te rappelle que nous ne sommes même pas dix ! »
Les méninges de Lucien travaillaient frénétiquement, cherchant un moyen afin de le convaincre. Finalement, il décida de prendre son ami là où il savait que ça lui ferait le plus de mal.
« Bon, je m'incline, lança-t-il en reprenant sa bougie avant de se diriger vers la sortie. Mis à part l'argent, j'ai vraiment pensé que ça pourrait calmer Olivia en se rendant compte que la reine est qu'une pauvre humaine comme elle, mais si tu refuses mon aide... Dans ce cas, bon courage pour supporter ses crises de colère quand tu lui annonceras que t'as pas l'intention de tuer les monarques pour son bon plaisir. »
Il quitta la chambre, s'en voulant un peu d'avoir été aussi brusque. Mais c'était nécessaire. Si Olivia n'était pas, Marius aurait pu reprendre depuis longtemps sa vie en main et ne serait pas ici, dans cette forêt, en train de sombrer chaque jour de plus en plus dans le crime.
Les bruits de pas hâtifs de Marius s'élevèrent derrière lui. Il se retourna et le découvrit dans l'encadrement de la porte, la mine inquiète, son visage d'habitude déjà pâle ayant à présent une maladive couleur grisâtre.
« Tu... es vraiment convaincu que nous avons une chance de réussir ? », demanda-t-il, soucieux.
Lucien hocha la tête. D'un air grave, Marius reprit :
« Et si nous échouons ? »
Le blond retint sa respiration un instant, laissant son regard détailler lentement les tristes murs de la ruine qui l'entouraient. Puis un sourire passa sur ses lèvres, et il fixa son ami.
« Alors, on mourra, et tout sera fini, dit-il simplement. Et ce sera peut-être mieux comme ça. »
Il lui donna une petite tape amicale sur l'épaule. Marius s'efforça à sourire.
« Nous n'avons pas le droit à l'échec, Lucien. Je l'interdis.
-Compte sur moi. »
Lucien se retourna afin de regagner sa propre chambre, un nœud lui nouant la gorge... Non, il était trop tard pour avoir des remords, à présent. Cela faisait longtemps qu'il avait cherché un moyen pour sortir Marius du gouffre au fond duquel il se trouvait.
« Lorsqu'il s'était introduit dans le palais, il avait intercepté une conversation entre la reine et une vieille femme, probablement sa gouvernante. Mélusine se lamentait de son existence monotone, du roi qui la méprisait et pour qui elle n'était bonne qu'à donner naissance à l'héritier du trône, de son amant ministre qui avait perdu toute sa fortune dans des jeux de hasard et qui, disgracié, s'était pendu.
Exténué, Lucien se laissa tomber sur le tas de paille recouvert d'un drap humide qui constituait son lit et resta un long moment allongé sur le dos, à fixer le plafond aux poutres moisies. En silence, il se repassa son plan dans la tête.
Bien qu'étant lui-même un homme, il ne pouvait nier que Marius était beau. A chaque fois qu'ils allaient en ville pour revendre le butin qu'ils avaient dérobé, il avait souvent observé, avec une pointe de jalousie, ces filles qui se rassemblaient autour du ténébreux chef des brigands afin d'attirer son attention...
Le jeune blond ferma les yeux. La reine s'ennuyait dans son palais. Dans trois jours, il lui offrirait des divertissements, beaucoup plus amusants que tout ce qu'elle avait jamais pu s'imaginer. Tout ce qu'il espérait en retour, c'était qu'elle veuille bien l'aider à faire disparaître Olivia.
La calèche royale avançait sur un large sentier le long d'un fleuve, protégé du soleil par de larges couronnes d'arbres qui bordaient les lieux. Derrière le véhicule trottaient de fiers mousquetaires sur leurs montures blanches, scrutant les alentours afin de prévoir chaque danger.
Seule à l'intérieur du char doré aux sièges revêtus de velours bordeaux, la reine fixait d'un air absent ses chaussures brodées d'or à moitié dissimulés par les longs pans de sa robe en mousseline. Elle était lasse. La vie au palais était devenue insupportable depuis... Lentement, elle posa ses mains sur son ventre où, dix jours auparavant encore, s'était trouvé ce petit être qui aurait pu être l'héritier du royaume.
Lorsqu'elle avait perdu l'enfant, elle s'était presque sentie soulagée, la peur de mourir en couches comme feu sa pauvre sœur se dissipant peu à peu. Néanmoins, l'attitude du roi ayant appris cette nouvelle était devenue intenable. Il ne cessait de lui rappeler son incapacité d'assumer son rôle de reine- donner naissance à son successeur- et la blâmait de ne penser qu'à s'amuser en allant rendre visite aux jeunes filles de son couvent. De plus, ses demoiselles de compagnie n'étaient que des créatures superficielles qui lui répétaient à longueur de journées à quel point elles étaient désolées pour elle, son amant qu'elle n'avait jamais réellement aimé mais qui avait été le seul à lui témoigner un semblant d'affection n'était plus, et bientôt le peuple entier apprendrait sa fausse-couche et viendrait la voir au palais, les joues couvertes de larmes hypocrites.
Mélusine soupira. Elle était parvenue à obtenir la permission du roi afin de rendre visite à ses cousines avec qui elle avait passé toute son enfance. Elle espérait y retrouver un peu de gaieté et d'insouciance, des divertissements qui lui feraient oublier pendant quelques jours qu'elle était la reine.
Le premier mousquetaire tomba du dos de sa monture avant même qu'il n'ait réalisé ce qui lui arrivait. Surpris, ses compagnons se tournèrent vers l'arrière... pour voir trois autres des leurs se faire transpercer le buste par des flèches surgies de nulle part.
« Une embuscade ! Protégez la reine ! »
Brusquement, le carrosse s'arrêta, et les mousquetaires se rassemblèrent autour dégainant leurs épées. Frénétiquement, ils tournaient la tête dans tous les sens, cherchant à distinguer leur assaillant à travers le dense feuillage de la forêt. Soudain, les feuilles d'un buisson furent écartées, et un frêle jeune homme blond apparut devant eux, les mains nues levées. Les nobles seigneurs froncèrent les sourcils, ne sachant trop ce que cette manœuvre signifiait. Ce gamin... était-ce lui, leur ennemi ?
Mais ce court instant d'inattention leur fut fatal. Profitant de ces quelques secondes où les mousquetaires avaient baissé leur garde, les brigands cachés dans les sous-bois bandèrent à nouveau leurs arcs et lâchèrent leurs flèches.
Avec un mélange d'horreur et d'excitation, la reine regardait par la fenêtre de sa calèche ces misérables paysans attaquer sa troupe, se ruant sur elle avec des hurlements sauvages, riant et bondissant dans tous les sens avec une agilité déconcertant même ses propres soldats. Comment de tels misérables étaient-ils capables de tenir tête à des mousquetaires, des combattants d'élite ?
La jeune femme poussa un cri lorsque le corps inerte de l'un des siens tomba lourdement à terre, à quelques pas de là où elle se trouvait. Des chevaux paniqués sans propriétaires hennissaient, couraient autour des combattants, certains étaient éclaboussés de sang... Elle tira le petit rideau sur la fenêtre afin de ne plus voir ce carnage et se retourna. Par la seconde fenêtre, elle vit avec soulagement le dos des deux hommes qui étaient chargés de surveiller l'arrière de sa voiture. Elle ferma les yeux un court instant, priant en silence. Seigneur, si seulement les mousquetaires parvenaient à éliminer les assaillants... Elle n'osait songer à ce qui lui arriverait si ces malfrats parvenaient à poser la main sur elle, la souveraine du royaume...
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle constata que ses deux gardes avaient disparu. Puis une silhouette dont le visage était masqué se détacha de l'ombre des troncs d'arbres et s'approcha lentement du carrosse. Pétrifiée, Mélusine ouvrit la bouche pour appeler au secours, mais aucun son ne franchit ses lèvres. La sueur commençant à couler sur son visage parfaitement poudré, elle se rendit compte de l'énorme bêtise qu'elle avait commise : tous ses serviteurs se battaient de l'autre côté de la calèche, de ce même côté dont elle avait tiré les rideaux, et personne ne pouvait voir ce qui se passait ici même, à l'intérieur de ce lieu qui serait probablement son tombeau...
Voilà... c'était donc ainsi qu'elle allait mourir, dans une forêt déserte, sans que personne ne s'en doute. Incapable de bouger, elle vit la silhouette drapée de noir prendre sa main et la baiser en susurrant un langoureux « Votre Altesse ». Puis l'être devant elle repoussa lentement sa capuche pour dévoiler un mystérieux jeune homme aux traits fins, la fixant avec une intensité qui fit battre son cœur plus fort. Étrangement, elle n'avait plus peur. Lorsqu'il la prit dans ses bras afin de la porter hors du carrosse, elle sentit peu à peu ses paupières se faire de plus en plus lourdes.
Alors qu'elle sombrait progressivement dans les ténèbres, la dernière chose qui traversa son esprit était qu'elle n'aurait jamais cru que la mort avait d'aussi beaux yeux bruns.
« Qui est-ce ? », lança-t-elle.
Le vieux bois de la porte craqua lorsqu'elle s'ouvrit, puis la voix mystérieuse de Marius ordonna tranquillement :
« Ferme les yeux. »
Elle s'exécuta sans poser de questions. Ses oreilles perçurent le bruit des pas du jeune homme qui se rapprochait, puis elle sentit ses mains tirer sa chevelure en arrière afin de dégager sa nuque. Un léger frisson la parcourut lorsque quelque chose de froid se posa autour de son cou.
« J'ai fait faire cette parure rien que pour toi », souffla-t-il tendrement.
Olivia rouvrit les yeux et resta muette en voyant son reflet dans le miroir lui renvoyer l'image d'un somptueux collier aux douces lueurs corail, constitué d'innombrables petites perles brillantes, chacune portant en son centre un minuscule fragment de pierre rubis. La jeune fille se retourna pour faire face à Marius, le visage débordant de gratitude.
« Je... je ne sais pas comment te remercier, lâcha-t-elle en portant ses mains au bijou comme pour s'assurer qu'il était bien réel. Tous ces cadeaux dont tu me combles toujours... Que puis-je faire pour te prouver à quel point je te suis reconnaissante ? »
Il posa un doigt sur ses lèvres.
« Tu es ce que j'ai de plus important, dit-il d'une voix douce. Ton sourire est le plus beau présent que tu peux m'offrir en retour. Je t'avais promis 'ce jour-là' que je ferai tout pour te rendre heureuse. »
Olivia effleura du bout des doigts sa joue, un regard tendre posé sur lui.
« Marius... tu sais très bien que je n'ai besoin que d'une seule chose pour être heureuse. »
Elle posa la tête contre son buste svelte, l'entoura de ses bras. Le chef des brigands répondit à son étreinte, caressant délicatement ses soyeuses mèches blondes qui jaillissaient dans son dos.
Oui, elle lui avait souri un jour, et elle le lui avait dit : « Je suis heureuse, Marius. Je n'ai besoin que de toi pour être heureuse. » Il la serra encore plus fort contre lui. Il voulait réentendre cette phrase de sa bouche, parce que malgré tout, il avait l'impression qu'elle lui échappait depuis quelques temps. Comme si elle avait compris ce qui le tourmentait, elle répéta, le visage enfoui dans son cou :
« Je n'ai besoin que d'une chose pour être heureuse.... »
Sa voix n'était plus qu'un langoureux murmure.
« Je n'ai besoin que de voir le couple royal nous rendre le trône après avoir péri sous ta lame... »
A cet instant, des bruits se firent entendre dans la cour.
« Ah ! Quel butin ! Mettez les chevaux à cuire, Marius a dit qu'y aura un bon festin ce soir ! »
Olivia se détacha de l'emprise du jeune homme et bondit hors de la chambre en s'exclamant, joyeuse comme une enfant :
« Un festin ? Quelle bonne idée, je meurs de faim ! »
Par la fenêtre, Marius observait d'un œil distrait ses compagnons fêter dans la cour, éclairés par un grand feu de bois devant lequel l'un des brigands faisait rôtir des morceaux de viande. Les autres, attendant le repas, s'amusaient à courir dans tous les sens afin de s'attraper. Assise sur un tronc d'arbre et revêtue d'une robe au décolleté généreux de sorte à ce que chacun puisse voir son nouveau collier, Olivia encourageait la bande en frappant dans les mains, un large sourire aux lèvres.
Pendant un long moment, le maître des lieux scruta attentivement le visage de la jeune blonde, cherchant à y déceler un signe, quelque chose qui trahirait sa tristesse sous son apparent masque de béatitude... Mais il ne vit rien de cela. Tout ce qu'il pouvait voir n'était que deux yeux pétillants de vie, des joues rosies par l'excitation et un sourire à en réchauffer le cœur.
Ses dernières paroles lui revinrent en mémoire. Elle voulait qu'il élimine le couple royal afin de lui rapporter la couronne. Avec un grognement, il s'accouda sur le rebord de la fenêtre et se prit la tête entre les mains. Pour elle, cela ne faisait que partie du « jeu ». Il savait très bien qu'elle n'y songeait pas sérieusement. Ce n'était qu'un nouveau défi qu'elle lui imposait afin de s'assurer qu'il lui était toujours entièrement dévoué, et derrière ce désir irrationnel se cachait un nouvel appel de détresse silencieux. Lui demander l'impossible avait toujours été sa façon de lui faire comprendre : « Je me sens mal, et j'ai peur de me retrouver à nouveau seule. J'ai besoin de sentir que tu m'aimes et que tu ne me quitteras pas. »
Depuis leur rencontre, il avait tout fait pour la guérir de ses blessures, il s'efforçait de réaliser tous ses souhaits et veillait à ce qu'elle ne manque de rien. Et pourtant, elle refusait toujours de s'ouvrir à lui.
Les doigts de Marius se refermèrent autour du verre posé sur la petite table de bois rapiécé à côté de lui, avant qu'il ne se rende compte qu'il était vide. Le repoussant avec un soupir dédaigneux, il s'empara de la bouteille de vin qui se trouvait là et porta le goulot à ses lèvres. Son regard vide jusqu'alors fixé sur le firmament dénué d'étoiles se voila, et il laissa le liquide aigre couler dans sa bouche, dévaler sa trachée, provoquant une sensation de brûlure au fond de lui.
Soudain, le flot d'alcool s'arrêta, et la bouteille disparut de sa main.
« Assez, Marius. Je sais que le butin de ce soir était excellent, mais c'est inutile de fêter ça avec autant de vin. »
Il se retourna. Le brigand blond qui avait dirigé la plus grande partie de l'embuscade plus tôt dans la soirée était entré sans faire de bruit et déposa le récipient d'alcool ainsi qu'une bougie sur la petite table avant de le dévisager, les sourcils froncés.
« Tu ne participes pas au festin, Lucien ?, lâcha celui-là, sentant venir une remarque indésirable.
-Et vous, mon seigneur ?, répliqua l'autre avec une légère intonation ironique. A ce qu'il me semble, ce n'est pas moi qui me suis cloîtré dans ma chambre, sans lumière, avec une bouteille pour seule compagnie. »
Le brun le gratifia d'un regard noir. Lucien haussa les épaules en signe d'excuse.
« Allez, viens, tout le monde s'amuse. Reste pas tout seul ici.
-Je n'ai pas envie de me joindre à eux, répliqua-t-il. Tout s'est bien déroulé comme d'habitude, après mon départ ? »
Son ami soupira et se gratta le menton en réfléchissant.
« Alors... le marchand et ses compagnons ont été tués puis on les a tous brûlés, avec le carrosse aussi. Les chevaux, ils sont en train de rôtir en bas. Si tu veux, je vais t'en chercher un morceau, il faut bien que notre meneur soit fort et bien portant pour éliminer les méchants qui osent se balader sur notre territoire... »
Un sourire furtif passa sur les lèvres de Marius tandis que Lucien continuait :
« Ils avaient de l'argent sur eux, des bijoux et des robes. Demain, on ira en ville pour voir le prix qu'on peut tirer de tout ça. Si tout va bien, j'estime qu'on peut tenir quatorze jours avec cet argent. »
Il s'interrompit et se racla la gorge.
« Mais comme tu prévois sûrement une grosse dépense pour offrir un nouveau cadeau à ta princesse, on va dire qu'on aura assez pour se nourrir pendant cinq jours. »
Marius baissa les yeux, silencieux. Le blond s'approcha plus près de lui, inquiet de le voir dans cet état.
« Eh..., fit-il doucement. Y a quelque chose qui va pas? »
L'autre se ressaisit et fit quelques pas en avant.
« Je suis un peu fatigué, répondit-il sur un air qui se voulait détaché. Tu as raison, je devrais peut-être manger quelque chose. Allez, rejoignons les autres. »
Un peu plus brusquement qu'il ne l'aurait voulu, Lucien l'agrippa par les épaules, de sorte à l'immobiliser contre le mur.
« Marius, dit-il fermement. Je suis ton meilleur ami depuis toujours, et je te connais mieux que quiconque, alors fais pas comme si tout allait bien. C'est encore Olivia qui a fait quelque chose ? »
Une expression indéchiffrable sur le visage, Marius le considéra un long moment avant de lui avouer calmement :
« Olivia m'a demandé de tuer le roi et la reine et de lui apporter la couronne. »
Son compagnon lâcha ses épaules en écarquillant les yeux, n'en croyant pas ses oreilles.
« Mais... c'est insensé ! Et... tu as accepté ? »
Marius jeta un regard vers la fenêtre, pris d'une soudaine lassitude. Il était las des caprices d'Olivia, las de tuer, las d'exister.
« Je ne sais plus quoi faire, murmura-t-il. Bien évidemment, je n'éliminerai pas les souverains,mais je ne vois pas comment refuser un souhait à Olivia... »
Lucien compta jusqu'à trois afin de ne pas perdre le contrôle. Il avait envie d'ouvrir les yeux une bonne fois pour toutes à son abruti d'ami, de lui donner un bon coup de poing en lui hurlant que cette fichue garce à qui il passait tous ses caprices se moquait éperdument de lui, qu'elle ne faisait que l'utiliser pour sa propre satisfaction et que ça l'amusait de le voir abattu de la sorte, merde alors ! Mais il ne pouvait pas, il était encore trop tôt. Il prit une profonde inspiration avant de se lancer.
« A ce propos... J'ai aussi remarqué qu'Olivia voyait Mélusine en tant que rivale, en quelque sorte... Alors, j'ai pensé que peut-être, si elles se rencontraient pour de bon, Olivia se rendrait compte que la reine est pas aussi spéciale qu'elle le croit et qu'elle a rien à lui envier. Ça la calmerait peut-être, et elle constatera que ça sert à rien de l'éliminer... non ? »
Il passa nerveusement sa main à travers ses cheveux blonds en bataille. Tout d'abord dubitatif, Marius finit par éclater de rire :
« Lucien, franchement... Est-ce que tu me vois me présenter au palais et aller dire à la reine : 'Bonjour, je suis un brigand, et je vous invite à venir siroter un thé en compagnie de ma fiancée qui a des envies de meurtre envers vous' ?
-J'ai jamais dit ça !, se défendit l'autre en faisant la moue. Il y a un autre moyen de faire venir Mélusine ici. »
Le brun croisa les bras sur son torse, attendant qu'il s'explique.
« J'ai réussi à m'infiltrer dans le palais, avoua Lucien tandis que l'autre haussait les sourcils en signe d'étonnement. Je suis entré avec des fermiers qui livraient leur blé, donc on m'a suspecté de rien. Et j'ai surpris une conversation... Mélusine a décidé d'entreprendre un voyage pour aller rendre visite à des proches. »
Sa voix se fit plus forte.
« Ce voyage, elle va le faire dans trois jours, et j'ai compris qu'elle devait emprunter la route le long du fleuve, dans la forêt... Tu te rends compte de ce que ça signifie, pour nous ? »
Devant l'enthousiasme du jeune homme, Marius secoua vivement la tête.
« Non, Lucien, c'est hors de question ! Est-ce que tu imagines les risques que cela peut entraîner pour nous ? C'est de la reine que tu parles ! Crois-tu vraiment qu'elle quittera le palais avec une misérable petite escorte incapable de la protéger ? Les cavaliers qui l'accompagnent sont des combattants d'élite qui nous tueraient avant que nous ne nous en rendions compte !
-Mais enfin ! Si ça réussit, pense à tout l'argent de rançon qu'on peut y gagner ! »
Marius s'était mis à faire les cent pas à travers la pièce, agité, Lucien sur ses talons.
« On peut y arriver !, tenta-t-il de le persuader. On se divisera en deux groupes, l'un attirera les gardes dans une embuscade et l'autre s'occupera de ceux qui resteront près du carrosse tandis que toi, tu enlèveras Mélusine ! Et on aura l'avantage de les surprendre !
-Je t'en prie, nous n'avons aucune chance ! Et je te rappelle que nous ne sommes même pas dix ! »
Les méninges de Lucien travaillaient frénétiquement, cherchant un moyen afin de le convaincre. Finalement, il décida de prendre son ami là où il savait que ça lui ferait le plus de mal.
« Bon, je m'incline, lança-t-il en reprenant sa bougie avant de se diriger vers la sortie. Mis à part l'argent, j'ai vraiment pensé que ça pourrait calmer Olivia en se rendant compte que la reine est qu'une pauvre humaine comme elle, mais si tu refuses mon aide... Dans ce cas, bon courage pour supporter ses crises de colère quand tu lui annonceras que t'as pas l'intention de tuer les monarques pour son bon plaisir. »
Il quitta la chambre, s'en voulant un peu d'avoir été aussi brusque. Mais c'était nécessaire. Si Olivia n'était pas, Marius aurait pu reprendre depuis longtemps sa vie en main et ne serait pas ici, dans cette forêt, en train de sombrer chaque jour de plus en plus dans le crime.
Les bruits de pas hâtifs de Marius s'élevèrent derrière lui. Il se retourna et le découvrit dans l'encadrement de la porte, la mine inquiète, son visage d'habitude déjà pâle ayant à présent une maladive couleur grisâtre.
« Tu... es vraiment convaincu que nous avons une chance de réussir ? », demanda-t-il, soucieux.
Lucien hocha la tête. D'un air grave, Marius reprit :
« Et si nous échouons ? »
Le blond retint sa respiration un instant, laissant son regard détailler lentement les tristes murs de la ruine qui l'entouraient. Puis un sourire passa sur ses lèvres, et il fixa son ami.
« Alors, on mourra, et tout sera fini, dit-il simplement. Et ce sera peut-être mieux comme ça. »
Il lui donna une petite tape amicale sur l'épaule. Marius s'efforça à sourire.
« Nous n'avons pas le droit à l'échec, Lucien. Je l'interdis.
-Compte sur moi. »
Lucien se retourna afin de regagner sa propre chambre, un nœud lui nouant la gorge... Non, il était trop tard pour avoir des remords, à présent. Cela faisait longtemps qu'il avait cherché un moyen pour sortir Marius du gouffre au fond duquel il se trouvait.
« Lorsqu'il s'était introduit dans le palais, il avait intercepté une conversation entre la reine et une vieille femme, probablement sa gouvernante. Mélusine se lamentait de son existence monotone, du roi qui la méprisait et pour qui elle n'était bonne qu'à donner naissance à l'héritier du trône, de son amant ministre qui avait perdu toute sa fortune dans des jeux de hasard et qui, disgracié, s'était pendu.
Exténué, Lucien se laissa tomber sur le tas de paille recouvert d'un drap humide qui constituait son lit et resta un long moment allongé sur le dos, à fixer le plafond aux poutres moisies. En silence, il se repassa son plan dans la tête.
Bien qu'étant lui-même un homme, il ne pouvait nier que Marius était beau. A chaque fois qu'ils allaient en ville pour revendre le butin qu'ils avaient dérobé, il avait souvent observé, avec une pointe de jalousie, ces filles qui se rassemblaient autour du ténébreux chef des brigands afin d'attirer son attention...
Le jeune blond ferma les yeux. La reine s'ennuyait dans son palais. Dans trois jours, il lui offrirait des divertissements, beaucoup plus amusants que tout ce qu'elle avait jamais pu s'imaginer. Tout ce qu'il espérait en retour, c'était qu'elle veuille bien l'aider à faire disparaître Olivia.
La calèche royale avançait sur un large sentier le long d'un fleuve, protégé du soleil par de larges couronnes d'arbres qui bordaient les lieux. Derrière le véhicule trottaient de fiers mousquetaires sur leurs montures blanches, scrutant les alentours afin de prévoir chaque danger.
Seule à l'intérieur du char doré aux sièges revêtus de velours bordeaux, la reine fixait d'un air absent ses chaussures brodées d'or à moitié dissimulés par les longs pans de sa robe en mousseline. Elle était lasse. La vie au palais était devenue insupportable depuis... Lentement, elle posa ses mains sur son ventre où, dix jours auparavant encore, s'était trouvé ce petit être qui aurait pu être l'héritier du royaume.
Lorsqu'elle avait perdu l'enfant, elle s'était presque sentie soulagée, la peur de mourir en couches comme feu sa pauvre sœur se dissipant peu à peu. Néanmoins, l'attitude du roi ayant appris cette nouvelle était devenue intenable. Il ne cessait de lui rappeler son incapacité d'assumer son rôle de reine- donner naissance à son successeur- et la blâmait de ne penser qu'à s'amuser en allant rendre visite aux jeunes filles de son couvent. De plus, ses demoiselles de compagnie n'étaient que des créatures superficielles qui lui répétaient à longueur de journées à quel point elles étaient désolées pour elle, son amant qu'elle n'avait jamais réellement aimé mais qui avait été le seul à lui témoigner un semblant d'affection n'était plus, et bientôt le peuple entier apprendrait sa fausse-couche et viendrait la voir au palais, les joues couvertes de larmes hypocrites.
Mélusine soupira. Elle était parvenue à obtenir la permission du roi afin de rendre visite à ses cousines avec qui elle avait passé toute son enfance. Elle espérait y retrouver un peu de gaieté et d'insouciance, des divertissements qui lui feraient oublier pendant quelques jours qu'elle était la reine.
Le premier mousquetaire tomba du dos de sa monture avant même qu'il n'ait réalisé ce qui lui arrivait. Surpris, ses compagnons se tournèrent vers l'arrière... pour voir trois autres des leurs se faire transpercer le buste par des flèches surgies de nulle part.
« Une embuscade ! Protégez la reine ! »
Brusquement, le carrosse s'arrêta, et les mousquetaires se rassemblèrent autour dégainant leurs épées. Frénétiquement, ils tournaient la tête dans tous les sens, cherchant à distinguer leur assaillant à travers le dense feuillage de la forêt. Soudain, les feuilles d'un buisson furent écartées, et un frêle jeune homme blond apparut devant eux, les mains nues levées. Les nobles seigneurs froncèrent les sourcils, ne sachant trop ce que cette manœuvre signifiait. Ce gamin... était-ce lui, leur ennemi ?
Mais ce court instant d'inattention leur fut fatal. Profitant de ces quelques secondes où les mousquetaires avaient baissé leur garde, les brigands cachés dans les sous-bois bandèrent à nouveau leurs arcs et lâchèrent leurs flèches.
Avec un mélange d'horreur et d'excitation, la reine regardait par la fenêtre de sa calèche ces misérables paysans attaquer sa troupe, se ruant sur elle avec des hurlements sauvages, riant et bondissant dans tous les sens avec une agilité déconcertant même ses propres soldats. Comment de tels misérables étaient-ils capables de tenir tête à des mousquetaires, des combattants d'élite ?
La jeune femme poussa un cri lorsque le corps inerte de l'un des siens tomba lourdement à terre, à quelques pas de là où elle se trouvait. Des chevaux paniqués sans propriétaires hennissaient, couraient autour des combattants, certains étaient éclaboussés de sang... Elle tira le petit rideau sur la fenêtre afin de ne plus voir ce carnage et se retourna. Par la seconde fenêtre, elle vit avec soulagement le dos des deux hommes qui étaient chargés de surveiller l'arrière de sa voiture. Elle ferma les yeux un court instant, priant en silence. Seigneur, si seulement les mousquetaires parvenaient à éliminer les assaillants... Elle n'osait songer à ce qui lui arriverait si ces malfrats parvenaient à poser la main sur elle, la souveraine du royaume...
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle constata que ses deux gardes avaient disparu. Puis une silhouette dont le visage était masqué se détacha de l'ombre des troncs d'arbres et s'approcha lentement du carrosse. Pétrifiée, Mélusine ouvrit la bouche pour appeler au secours, mais aucun son ne franchit ses lèvres. La sueur commençant à couler sur son visage parfaitement poudré, elle se rendit compte de l'énorme bêtise qu'elle avait commise : tous ses serviteurs se battaient de l'autre côté de la calèche, de ce même côté dont elle avait tiré les rideaux, et personne ne pouvait voir ce qui se passait ici même, à l'intérieur de ce lieu qui serait probablement son tombeau...
Voilà... c'était donc ainsi qu'elle allait mourir, dans une forêt déserte, sans que personne ne s'en doute. Incapable de bouger, elle vit la silhouette drapée de noir prendre sa main et la baiser en susurrant un langoureux « Votre Altesse ». Puis l'être devant elle repoussa lentement sa capuche pour dévoiler un mystérieux jeune homme aux traits fins, la fixant avec une intensité qui fit battre son cœur plus fort. Étrangement, elle n'avait plus peur. Lorsqu'il la prit dans ses bras afin de la porter hors du carrosse, elle sentit peu à peu ses paupières se faire de plus en plus lourdes.
Alors qu'elle sombrait progressivement dans les ténèbres, la dernière chose qui traversa son esprit était qu'elle n'aurait jamais cru que la mort avait d'aussi beaux yeux bruns.